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Il était un Havre
Il était un Havre
  • Comme son nom l’indique, Le Havre fut d’abord un port avant de devenir une ville. C'est à la fois la plus récente des villes françaises et le benjamin de nos grands ports. Je vous propose un petit voyage dans le temps à la découverte de son passé.
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Au Havre, il est en vente à la Galerne, à la FNAC et à Auchan Montgaillard.

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11 mars 2018

... en passant par la Charité

 

L'église Notre-DameL'église Notre-Dame, où furent organisés nombre de quêtes en faveur des déshérités

« Durant la construction du quartier Saint-François, les denrées subissent une augmentation considérable. Le coût de la vie a doublé durant les 30 premières années. », écrivait Jean Legoy dans l’un de ses ouvrages (1). On s’en doute bien, durant cette période, pour une majorité d’habitants du nouveau havre, pour lesquels les salaires, donc, par voie de conséquence, les conditions de vie n’avaient rien de mirobolant, la situation déjà précaire est vite devenue intenable. C’est peut-être même cet état de fait qui pourrait y expliquer en grande partie le profond enracinement de la Réforme dont Le Havre restera de longues années un fief et un point d’ancrage.

Quoi qu’il en soit, les rues de la cité s’emplissaient chaque jour un peu plus de pauvres et, l’un étant souvent la conséquence de l’autre, de malades pour qui les soins et les médications, quand ils existaient, étaient inaccessibles car trop onéreux.

 

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Cette situation avait conduit à la création, en 1546, d’une association d’aide aux déshérités qui, sous l’égide de la Très sainte Vierge Marie, avait pris le nom de Notre-Dame de la Recouvrance. Cette association, précurseur dans un Havre qui, tout au long de son Histoire, ne serait, pour quantité de laissés pour compte, qu’un havre de misère, s’était donné pour but de venir en aide aux détenus, aux malades et aux pauvres, en tentant de leur octroyer, dans la limite de ses possibilités, 5 sols par semaine pour subvenir à leurs besoins.

Vers 1590, la mère du gouverneur du Havre Anne de Joyeuse, Marie de Batarnay, fit venir en ville des Capucins. Il ne fait aucun doute qu’elle usa de toute son influence, notamment auprès de son neveu, André Brancas de Villars, qui avait succédé à de Joyeuse aux fonctions de gouverneur, pour que furent attribués à cette confrérie de religieux, réunis sous la bannière de saint François d’Assise pour porter assistance aux plus démunis, les bâtiments de l’Hôtel-Dieu et leurs dépendances.

Vers 1617, les Carmélites de Rouen décidaient de s’installer au Havre, mais, six années plus tard, l’air vif et salin ne semblant pas leur convenir, elles revendaient le local qu’elles avaient acheté dans le quartier Notre-Dame aux religieuses de Montivilliers. Celles-ci y firent construire une chapelle qui fut bénie en octobre 1624 sous le nom de Notre-Dame-de-Bonsecours. Mais, en proie à de grandes difficultés financières, elles revendirent le couvent et ses dépendances en 1627 aux Ursulines de Rouen qui s’y installèrent à leur tour. Fondée en 1537 en Italie, la Compagnie de Sainte Ursule, dont la vocation était de prier et de secourir ses « frères », s’installe donc au Havre dans une parcelle de terrain sise entre la rue au Lard et la rue Beauverger, non loin du rempart et de la porte d’Ingouville. À l’instar de nombreux monastères fondés en France, celui du Havre se consacrera essentiellement à l’éducation des jeunes filles. Car la misère matérielle, au Havre comme partout, s’accompagnait immanquablement et malheureusement d’une autre détresse, intellectuelle celle-là. Les bâtiments dans l’enclos du couvent serviront donc de classes aux petites filles.

 

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En 1648, est mentionnée l’Œuvre de la Miséricorde pour les orphelines. Cette confrérie, réplique havraise des « Dames de charité » initié par saint Vincent de Paul, est composée de dames et de demoiselles, souvent issues des familles les plus en vue et les mieux considérées de la place, qui se sont fixé pour devoir de visiter les malades et les affligés. Cette année 1648, les dames de la Miséricorde, dont la présence au Havre est peut-être antérieure à cette date, sollicitent auprès du gouverneur et des échevins l’autorisation de recevoir le poisson coupé afin de le revendre au profit des pauvres. En 1669, sous l’impulsion de l’abbé de Clieu, la congrégation prendra le nom de « Notre-Dame de la Miséricorde ». En 1686, la congrégation est autorisée à recevoir une « poignée » de morues, prélevée sur la pêche de chaque bateau à son retour de Terre-Neuve. Mais, pour tenter de faire face à cette misère intellectuelle dont nous avons déjà parlé, la confrérie va, elle aussi, se soucier du sort des femmes et des filles pour lesquelles elle crée une école et une fabrique de dentelle qui acquerra rapidement une solide réputation grâce à laquelle la dentelle du Havre sera très prisée.

 

Vente de charité

En 1659, ce sont les Pénitents qui arrivent au Havre. Pourquoi cette confrérie, dont les diverses missions ont pour but d’apporter des soins aux malades, mais aussi d’organiser et de tenir orphelinats et monts-de-piété, sans oublier l’accueil des pèlerins, ne trouva-t-elle pas au sein de la ville la terre d’accueil qu’ils avaient espéré y trouver ? Impossibilité de trouver une place disponible ? Refus des autorités qui jugeaient que la présence des Capucins était incompatible avec la présence des Pénitents ? Prudent, Joseph Morlent, dans son ouvrage Le Havre et son arrondissement se contente de préciser : « En 1659, des pères Pénitents, du tiers ordre de Saint-François, après avoir cherché vainement à s’établir au Havre, furent obligés de se réfugier dans les faubourgs où ils habitèrent d’abord la maison qui porte encore aujourd’hui pour enseigne l’Ecu de France. » Puis, ajoute l’Historien havrais : « Plus tard, ces religieux fondèrent un établissement, et c’est leur église, restaurée en 1823, qui est aujourd’hui le temple paroissial d’Ingouville. Cette église date de 1661. Ce fut le 25 août de cette année que la reine Anne d’Autriche qui s’était déclarée la protectrice des pères Pénitents, en fit poser la première pierre par le sieur de Bondeville, lieutenant-général au bailliage de Caux. (2) »

Les Havrais, dans leur malheur, payaient également un lourd tribu à la mer et au climat. Les morts sont nombreux dans les rangs des matelots et des mariniers, dont les veuves et les orphelins viennent grossir chaque jour un peu plus le nombre des nécessiteux. Les églises semplissent de mendiants qui, faute de mieux, s’en viennent même mendier jusqu’aux portes des maisons.Les hiverssont souvent rudes et impitoyables, entraînant l’exode des campagnes du pays de Caux vers la « grande » ville portuaire. S’ensuivent de terribles famines, comme celle de 1694, qui, durant la première moitié du XVIIIe siècle, s’ajoutent aux ravages des guerres. Faibles récoltes, disette, prix du pain exorbitants, pillage de boulangeries ont des allures de répétition générale de ce que seront les événements de 1789. De 1693 à mars 1789, Le Havre et Ingouville, dont la situation est encore plus mauvaise, tout et autant que cela puisse être, connaîtront des émeutes de subsistance à répétition.

 

misericorde en 1788

Les Dames de la Miséricorde organisent des quêtes dans les églises et dans les maisons de la ville. Trois fois par semaine, elles distribuent aux pauvres et aux malades pain, cidre, vin, viande, bouillon, argent, linges et médicaments. Elles fournissent le trousseau de l’enfant aux femmes enceintes et font transporter à l’hôpital ceux dont l’état le nécessite. Elles délivrent à 150 petites et jeunes filles un enseignement gratuit dans plusieurs écoles. En 1741, les échevins, reconnaissants de leur dévouement et de l’utilité de leur œuvre, leur attribuent 200 livres pour leurs bonnes œuvres. En 1796, La maison de la Miséricorde devint le bureau de bienfaisance. Le bâtiment qui les abrite, devenu vétuste à été reconstruit en 1788.

Le 14 janvier 1757, les échevins, que cette situation semblait avoir préoccupé tout de même au plus haut point, convièrent les pauvres à une distribution de pain. Ils n’avaient, choix guidé par des soucis d’ordre financier ou sous-estimation des réels besoins, prévu « que » 800 rations. Ce ne sont pas moins de 2100 malheureux qui se présentèrent ce jour-là à la distribution.

Cette situation créait, bien entendu, un climat propice au développement et à la prospérité des usuriers et des préteurs sur gage en tout genre. En 1813, une enquête fait apparaître qu’il y a quarante-quatre prêteurs sur gage au Havre. « Pour tenter de remédier aux abus causés par les prêteurs sur gage (Certains ne sont que de purs receleurs), les autorités locales (…) accordent une autorisation à l’un de ces établissements qui doit fonctionner publiquement, à l’instar du Mont-de-Piété établi à Paris », écrit Jean Legoy à la page 49 du second tome de son ouvrage Hier, Le Havre (3). L’établissement ouvre ses portes en 1802 rue Chevalier, dans le quartier Saint-François, entre la rue du Grand-Croissant et le quai Lamblardie. Immédiatement, le succès, si l’on peut parler de « succès » concernant ce genre d’établissement, est au rendez-vous. Mais les intérêts élevés qu’il pratique et les malversations dont se rendent coupables ses responsables entraîneront bientôt sa fermeture.

Un nouveau Mont-de-Piété voit le jour en 1816. Celui-ci se situe place Louis XVI. Mais, cette fois encore, les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est conduit à la fermeture en 1833. Il faudra attendre le 11 avril 1835 et une ordonnance royale pour voir l’ouverture d’un nouvel établissement placé directement sous la responsabilité du Maire. D’abord sis sur le Grand Quai, il est transféré au 20 rue Saint-Julien. Il deviendra le Crédit Municipal en octobre 1927. Les clients étant naturellement et essentiellement d’origine modeste, il suffit que survienne une période de chômage, et elles ne manquaient (déjà) pas à l’époque, pour que sa fréquentation augmente alors de façon considérable.

En 1822, est posée la première pierre du nouveau couvent des Ursulines en remplacement de celui qui fut transformé en prison durant la Révolution. « Cette maison, située rue de Berry, et dont le cardinal de Bernis, archevêque de Rouen, posa, en 1822, la première pierre, sert de retraite à des religieuses Ursulines qui se consacrent à l’éducation des jeunes personnes. L’édifice n’a rien de remarquable. Ces dames reçoivent par an 5,000 francs que leur alloue le conseil municipal, à titre de récompense, pour les soins gratuits qu’elles donnent aux enfants des familles peu aisées », écrit Joseph Morlent dans son Guide du voyageur (4). Cet établissement comprenait un bâtiment principal au milieu d’un jardin avec une aile à l’est, le portail ouvrant rue de Berry.

 

Enclave des pénitents 1

En avril 1886, dans l’enclave des Pénitents d’Ingouville, s’ouvre le premier asile de nuit du Havre. C’est un organisme privé, fondé grâce aux dons de quelques généreux citoyens, parmi lesquels des administrateurs du journal Le Havre, va permettre d’offrir un refuge nocturne aux pauvres, aux mendiants et aux vagabonds qui, crises économiques et périodes de chômage « aidant », déambulent dans les rues de la ville et grelottent sous la pluie et la neige, sans abri et sans pain. En 1892, les asiles de la rue des Pénitents et de la rue Saint-Romain recueillirent plus de 7000 de ces malheureux que nous avons coutume d’appeler de nos jours Sans Domicile Fixe.

Voilà, ici s’achève cette brève évocation des solidarités havraises qui nous a conduits « de l’Hôtel-Dieu à l’Hôpital… en passant par la Charité (5) ». Bien sûr, nous n’avons fait que survoler le sujet et il nous aurait fallu aussi parler de l’œuvre considérable des curés du Havre, Messire du Clieu, notamment, et tant d’autres qu’il faudrait citer. Il aurait fallu évoquer la confrérie de Saint-Sauveur qui s’établit au Havre en 1633, Le bureau des pauvres valides que créa au Havre la duchesse d’Aiguillon en 1658, Le Bon Pasteur, fondé en 1842 par Madame Augustin-Normand, La Société de la Providence, qui se dévoua pour sauver les jeunes filles de la prostitution et scolariser les enfants pauvres, ou encore les Sœurs Hospitalières qui œuvrèrent corps et âme au sein de l’Hôpital Général. Et encore, il y eut tant d’initiatives et de bonnes volontés qui se mirent au service des plus démunis que nous ne saurions les citer toutes. Ce n’est, je le souhaite, que partie remise…

 

1) « Hier, Le Havre, tome I », Jean Legoy, 1996.

2) « Le Havre et son arrondissement, 1ère partie », Joseph Morlent, 1841.

3) « Hier, Le Havre, tome II », Jean Legoy, 1997.

4) « Guide du Voyageur au Havre et aux environs », Joseph Morlent, 1827.

5) Voir sur le blog le premier volet de ce billet intitulé « De l’Hôtel-Dieu à l’Hôpital... »

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