La Bourse des Négociants
Le tour du Havre des Émeutiers
VIII – La Bourse des Négociants
« Blotti entre la grosse tour et la porte du Perrey, se trouvait un curieux petit bâtiment composé d’un seul et unique rez-de-chaussée. C’était une sorte de péristyle de plain-pied avec une cour plantée d’arbres et entourée de grillages de bois. C’était la Bourse des négociants dont les échevins avaient autorisé la construction et qui avait été élevée cinq ans plus tôt, lui avait indiqué Jérôme, décidément bien au fait de la vie de la cité » (Extrait du roman « Les Émeutiers du Grand Quay).
À une époque où Le Havre n’était encore considéré que comme l’avant-port de Rouen, avait été créée la Chambre de Commerce de Normandie. Mise en place par des Rouennais, elle ne se souciait, bien sûr, que des intérêts des seuls négociants rouennais. D’ailleurs, tout le commerce étant dévolu en ce temps-là à ces derniers, les droits des marchandises déchargées au Havre leur étaient affectés en intégralité. Cela ne posa guère de problèmes tant que l’activité principale du nouveau havre, en dehors de celles que lui conférait son rôle de port militaire, était demeurée la pêche à la morue.
D’ailleurs, jusque-là, les échevins de la ville se chargeaient fort bien de trouver des solutions aux problèmes lorsqu’il en venait à se poser. N’étaient-ils pas eux-mêmes des négociants ou des armateurs, parfaitement à même de trouver les solutions idoines ? Cette situation perdurera jusqu’au début du XVIIIe siècle, en dépit des incitations de Colbert qui avait en son temps encouragé les négociants havrais à s’organiser. « On a vu cependant que Colbert, qui avait deviné l’avenir du Havre et devait apporter tous ses soins à améliorer son établissement maritime et à y constituer un arsenal, appela les négociants havrais à élire deux d’entre eux, de concert avec les autres places maritimes et industrielles », écrivait Philippe Barrey dans « La représentation commerciale havraise au XVIIIe siècle » dans le recueil de la Société Havraise d’Études Diverses en 1910.
Au début du XVIIIe siècle, changement de registre. Le commerce maritime prend une part sans cesse plus importante dans les activités de la cité océane. Et les négociants de la place se sont, petit à petit, exonéré de la tutelle rouennaise. Alors, ce qui devait arriver arriva. Ils commencent à faire entendre leur voix. D’autant plus que la Chambre de Commerce de Normandie se désintéresse royalement de la situation du port du Havre et de ses problèmes. Pire, des tensions se font jour entre Rouennais et Havrais, sur fond de rivalité et de divergence d’intérêt. Alors, de la défense de plus en plus indispensable de leurs intérêts à la création d’un comité de négociants, il n’y avait qu’un pas. Quand fut-il franchi précisément ? Philippe Barrey, toujours dans « La représentation commerciale havraise au XVIIIe siècle », a sa petite idée : « Les renseignements donnés par M. Lemâle, le premier historien qui ait parlé de ce Comité, — le seul en réalité puisque les auteurs qui sont venus ensuite se sont contentés de le copier. — Suivant lui, il aurait été fondé le 2 juin 1753 ».
Il semble qu’au début les négociants durent se contenter de se réunir, en plein air, sur la place d’Armes, à l’ombre de la tour François Ier et de l’hôtel du lieutenant du Roi. Philippe Barrey fait bien mention de réunions du comité qui se seraient tenues chez l’un ou chez l’autre de ses membres, et dans un local qu’il louait, mais cela ne dura, semble-t-il, qu’un temps relativement court.
Las de cette situation inconfortable qui leur semblait sans doute n’avoir que trop duré, les négociants revendiquaient, avec de plus en plus d’insistance, pour se réunir, un local digne de ce nom et, en 1773, ils obtiennent la libre jouissance de ce coin de la place d’armes sur lequel ils avaient coutume de se retrouver. L’architecte Louis Boucard établit le plan et le devis pour la construction d’un bâtiment destiné à occuper cet emplacement. Les dons volontaires des négociants permettront la construction de cette première Bourse havraise. « L’état florissant où se trouva le commerce par la paix de 1783 ne permit plus aux négociants de la place de tenir leur Bourse au grand air et à l’intempérie des saisons. Ils firent construire en juillet 1784 par le sieur Boucard, architecte de la ville, une Bourse couverte avec une avenue plantée d’arbres qui les garantissaient de la pluie et du soleil », mentionne le Précis Chronologique qui nous a été restitué dans « Les manuscrits retrouvés de Jacques Augustin Gaillard », par Hervé Chabannes en 2006.
La Bourse « très modeste établissement situé devant l’emplacement actuel du Musée », nous dit Alphonse Martin « Promenades et distractions des Havrais en 1821 », « Près de la porte du Perrey, elle était blottie à l’ombre puissante de la grosse tour », précise Philippe Barrey dans « À travers Le Havre d’autrefois », paru en 1916 à l’occasion de la Commémoration du IVe centenaire du Havre, verra son statut et son rôle confirmé au début du XIXe siècle par le Consulat, comme le mentionne le Précis Chronologique de Jacques Augustin Gaillard : « Le 26 juillet 1801, par un arrêté des Consuls de ce jour, il fut arrêté qu’il y aurait une Bourse de commerce dans la ville du Havre et que le bâtiment actuellement employé à la tenue de la Bourse continuerait à lui être affecté et serait mis à cet effet à la disposition du Commerce ».
Dans la première moitié du XIXe siècle, les locaux de la Bourse étant devenus insuffisants et inhospitaliers, plusieurs projets d’agrandissement virent le jour. Il fut même envisagé de la transférer dans l’Arsenal, dans l’ancien hôtel de ville, dans les casernes de la Marine. En 1835, on y construisit un péristyle. La même année, on projette de la reconstruire sur la place du Commerce que le plan Lamandé avait fait naître quelques années plus tôt et qui était resté inoccupée jusque-là. Le projet est alors abandonné, mais nous savons aujourd’hui que ce ne fut que partie remise, car il ressortira des cartons en 1843.
En 1862, le bâtiment subit le même triste sort que la tour François 1er. Elle fut livrée aux démolisseurs. Quelle ne fut pas la surprise de ceux-ci lorsque le hasard et la chance leur permirent de mettre à jour un véritable petit trésor : La plaque sur laquelle avait été gravée le blason traditionnel, souvenir de la pose de la première pierre de la Bourse, en 1784. « Cette plaque, retrouvée en 1862 lors de la démolition de la Bourse, est conservée à la Chambre de commerce. Il est fâcheux qu’on n’ait pas pensé à s’y reporter lorsqu’il s’est agi de frapper un nouveau jeton de la Chambre de Commerce », commentait Philippe Barrey, un poil critique, en 1913, dans « Les armoiries de la ville du Havre », paru dans le Recueil de la Société Havraise d’Études Diverses, 1913.