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Il était un Havre
Il était un Havre
  • Comme son nom l’indique, Le Havre fut d’abord un port avant de devenir une ville. C'est à la fois la plus récente des villes françaises et le benjamin de nos grands ports. Je vous propose un petit voyage dans le temps à la découverte de son passé.
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Au Havre, il est en vente à la Galerne, à la FNAC et à Auchan Montgaillard.

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22 janvier 2023

La grosse tour

Le tour du Havre des Émeutiers

 

VII — La grosse tour 

 

"De son poste d’observation, il devinait la silhouette massive de la grosse tour derrière l’écran de poussière et de fumée qui la drapait d’un grand linceul gris. Mais ce rideau de grisaille ne l’empêchait nullement d’entendre distinctement les clameurs, les cris et les chants des émeutiers qui en faisaient le siège. De temps à autre, un coup de feu claquait, coup de tonnerre au milieu du vacarme ambiant. Puis, les hurlements, les vociférations, une seconde interrompus, reprenaient de plus belle" (Extrait du roman "Les émeutiers du Grand Quai").

 

Pour défendre le nouveau havre, écrit Jean Laignel, François 1er avait envisagé, dans un premier temps, de faire construire un château face à la mer, du côté de la mare aux Chevaliers, non loin du Chef-de-Caux. Pour quelles raisons ce projet fut-il abandonné ? Nous l’ignorons totalement. Le jeune Roi de France avait finalement opté pour la construction de deux tours qui se feraient face à l’entrée du port et en assureraient la sécurité. Toutefois, vraisemblablement pour des questions de temps et/ou de finances, il ne sera mis en chantier qu’une seule de ces deux tours.

Ce fut, on le sait, l’un des chantiers prioritaires du nouveau port, à tel point que, en dépit des rigueurs de l’hiver qui contraignirent à l’arrêt les autres travaux en cours, sa construction se poursuivit sans interruption.

 

28 La grosse tourLa "grosse" tour François 1er

 

Dès les premières heures du chantier, le maître-maçon Michel Férey et ses ouvriers s’étaient attelé à la tâche qui se poursuivra au moins jusqu’en 1520, et bien au-delà, si l’on en croit certaines chroniques. Deux comptes de dépenses nous fournissent de précieuses indications à ce sujet. Le premier, daté de 1518, nous indiquent que c’est à cette date que les portes de la tour sont mises en place. Le second, de 1532 celui-là, fait mention de l’installation de 3 canons dans la muraille. Un autre indice, qui nous est fourni par l’abbé Biot, fait état de l’affectation de 50 archers morte-payes à la garde du nouveau port en 1530, dont une partie à la grosse tour, ce qui paraît accréditer la thèse selon laquelle la tour, achevée ou pas, avait, à cette époque, bel et bien pris du service.

On ne saurait précisément dire quand lui fut attribué le nom de « Tour François 1er », mais pour les contemporains de Guillaume de Marceilles, le premier chroniqueur du Havre, c’était la « grosse tour ».

La grosse tour s’élevait alors à une hauteur de 30 mètres, pour un diamètre de 25. C’est dire si elle apparaît massive, une impression renforcée sans doute plus encore par l’épaisseur de 6 mètres de ses murs. « Elle est assise autant dedans que hors de terre… Fort épaisse, sa clôture est faite de pierre à demi-boule et pointe de diamant. ».Du côté de la ville, deux ponts-levis enjambant deux petits fossés permettaient d’y accéder. Guillaume de Marceilles nous rapporte dans ses « Mémoires »que la statue de François 1er, à cheval et en armes, qui surmontait la porte d’entrée de la tour, était « aujourd’hui (soit quelque 50 années avec l’édification de la dite tour) en la plus part dégradée et endommagée à cause du grand air de la mer. Serait-ce cette statue équestre qui a valu à la « grosse tour » son appellation de « tour François 1er » ? Peut-être… Toujours est-il que cette statue resta en place jusqu’au 15 août 1792, si l’on en croit un manuscrit de Toussaint Bonvoisin, date à laquelle de zélés révolutionnaires l’ont détruite « Car, en ce temps-là, on traitait partout le Roi comme les statues du Roi ».

 

La grosse tour

Vue de la tour de François 1er (lithographie Langlumé, Jules Dms)

 

Au sommet, sur la plate-forme, avaient été élevées deux petites maisons, servant de corps de garde, et un oratoire qui, si l’on en croit l’abbé Pleuvri, ne fut guère utilisé. Et il y avait là aussi, pointés sur la rade, 13 pièces d’artillerie qui joueront un rôle capital dans la défense du Havre, face aux Anglais. Mais cette plate-forme, c’était également un point d’observation auquel les Havrais (et les « touristes » ?) pouvaient accéder, en temps de paix, et d’où il pouvait contempler la mer, comme en témoigne Ambroise Joly : « La tour François-Ier m’avait toujours fait grande impression, car j’avais connu de bonne heure les principaux événements dont elle fut le théâtre. Ses sombres caveaux, l’escalier conduisant à sa plate-forme crénelée où s’allongeaient de vieilles caronades, parlaient fort à mon imagination de grand enfant ; et, la première fois que, du haut de cet observatoire, je vis la mer, je me souviens combien je fus frappé de son immensité. » En 1825, on installa sur la plate-forme un mât à signaux. Ce premier sémaphore du Havre, même s’il n’en portait pas encore le nom, restera au sommet de la tour jusqu’à sa démolition, en 1862, date à laquelle il fut réinstallé au bout de la nouvelle jetée et où il put reprendre du service.

 

Panneau Emeutiers 2

 

Entre ses murs colossaux qui en faisaient une forteresse impressionnante, la première du Havre, se trouvaient une grande salle voûtée de pierres de taille réservée à l’usage des membres de la garnison, plusieurs chambres, une citerne d’eau douce et un magasin où sont stockées les munitions, plusieurs cachots qui furent utilisés comme prison d’état. En 1789, un certain Jean-Pierre Provost, matelot de son état, fit un long et pénible séjour dans l’un de ces cachots pour le seul délit d’avoir été reconnu comme faisant partie de la délégation des manifestants qui s’étaient opposé aux échevins havrais. L’abbé Cochet, qui, visiblement, a eu la possibilité de visiter ces horribles cachots, en a fait une longue description en 1841 : « Armé d’une lanterne et muni d’une permission du génie militaire, je descendis les vingt-deux marches qui conduisent à cet obscur séjour. Mais avant d’en franchir le seuil, avant de remuer les verrous, d’agiter les triples serrures, de faire rouler sur leurs gonds criards les doubles portes de fer, il faut museler le cerbère qui veille nuit et jour dans une embrasure que l’on a pratiquée au bas de la muraille. C’est le triste gardien de cette triste demeure. Il doit avertir son maître au moindre bruit qui retentira sous ces voûtes. Il doit, fidèle écho, redire le moindre murmure que le désespoir fera sortir du cœur des prisonniers. Ses aboiements lugubres annoncent au geôlier le râle de quelque moribond… ». Durant les travaux de démolition de la tour, en 1862, il fut du reste procédé au relevé des empreintes et graffitis qui couvraient les murs des cachots (Noms des prisonniers, dates de leur incarcération et autres « souvenirs »…).

 

François 1er (3)François 1er en visite sur le chantier du port

 

C’est une évidence, la « grosse » tour François 1er fut incontestablement la première citadelle du Havre, l’élément de base autour duquel s’articulait toute la défense du nouveau port du côté de la mer. L’intention première de son Roi fondateur ne semble faire aucun doute à ce sujet. Et puis, pour se convaincre qu’elle a bien constitué, dès les premières heures de son existence, une pièce essentielle dans la vie et dans la défense de la cité, il suffit de se remémorer quelques-uns des nombreux événements qui jalonnèrent sa vie. À commencer par les visites royales. Le premier, à tout seigneur, tour honneur, François 1er, lequel, flanqué de la cohorte de ses officiers, monta sur la plate-forme pour assister, en 1545, au rassemblement de la flotte royale dans la rade. Il lui fut donné d’assister, hélas aussi, ce jour-là, à l’incendie qui dévasta le vaisseau amiral, le « Philippe ». En 1549, c’est son successeur de fils, Henri II, qui rend visite à la tour, accompagné de la Reine Catherine de Médicis. En 1749, c’est Louis XV, cette fois, qui, voulant voir la mer, monte sur la tour, accompagné d’une foule de gens « de distinction ».

En 1562, quand les Anglais se rendent maîtres de la ville, répondant aux appels pressants des protestants, l’étendard orné de léopards flotte haut sur la tour. Et, quand, l’année suivante, elle est reprise par les Français, sa muraille, du côté de la mer, est sévèrement endommagée par les coups de canon. Sa remise en état fut la priorité du nouveau gouverneur de la place, le sieur de Sarlabos. Une remise en état qui ne fut pas nécessaire lors des bombardements suivants, lorsque la « grosse tour » eut à nouveau à faire face à l’armada anglaise en 1694 et en 1759, lesquels bombardements firent plus de dégâts en ville que sur la tour.

En 1578, la tour François 1er fut le théâtre d’un événement pour le moins étrange. Un certain Aignan Le Comte, soldat de la garnison de son état, resté seul après avoir congédié (?!) ses collègues, s’était barricadé à l’intérieur de la tour, soudain pris de la folie de se rendre maître de la place. Des échelles dressées sur la muraille permirent aux assiégeants de prendre pied sur la tour. L’homme fut abattu d’un coup de pistolet et son cadavre fut pendu au créneau où il resta exposé durant plusieurs jours. En 1789, le premier fossé de la tour avait été comblé, nous rapporte Toussaint Bonvoisin et c’est peut-être ce qui explique en partie que, le 15 juillet 1789, les émeutiers havrais purent, assez facilement somme toute, s’en emparer et l’occuper une bonne partie de la journée, avant de l’évacuer et de déposer les armes en fin d’après-midi.

En 1835, le service des Postes Maritimes quitte la rue de Percanville, dans le quartier Saint-François, pour s’installer dans la tour François 1er. « Le bureau était ouvert depuis le commencement de la marée jusqu’au moment où la sortie des bassins cesse d’être praticable, apprend-on à la lecture d’un ouvrage sur l’Histoire de la Poste au Havre. Un tableau placé à la porte indique le nom et la destination des navires qui doivent appareiller à la marée ». Les observateurs auront remarqué que la Bourse des négociants était toute proche. Ce n’était assurément pas anecdotique, et ces messieurs du Commerce, qui étaient les principaux utilisateurs de ces échanges avec l’Outremer, voire les seuls, ont dû tirer bien des avantages de cette proximité. La distribution du courrier se faisait au guichet. Les potentiels destinataires étaient avertis des arrivées de courrier au moyen de pavillons portant numéros ou couleurs différents selon la provenance : Antilles françaises, Bourbon, Indes orientales, New-York…

 

Entrée du port (9)

Entrée du port du Havre (dessin : Horace Vernet, lithographie : Godefroy Engelmann, imprimeur Eudes)

 

Voilà quelques repères historiques aptes à nous permettre d’apprécier combien la « grosse tour » constituait un point d’ancrage essentiel dans l’Histoire de la cité et pourquoi elle était si chère au cœur des « vieux » Havrais. Témoin privilégié de tant d’événements-clé de la vie et de la survie du port et de la ville, de leurs combats, de leurs souffrances, de leurs défaites et de leurs victoires, de leurs réussites aussi, la tour fut néanmoins démolie. Pour agrandir l’entrée du port, disaient ceux qui en avaient décidé ainsi. Comme s’il n’y avait aucune autre manière d’élargir l’entrée du port, moins absurde, moins destructrice, et, qui plus est, moins onéreuse. « Malgré son grand âge, en dépit des caresses souvent brutales des navires, de l’assaut des vagues, des colères des hommes, elle était encore, quand son arrêt de mort fut prononcé, dans un état de conservation qui pouvait vraiment, sans exagération, je vous en fais juge, lui permettre de durer quelque temps encore. », déclarait Philippe Barrey, archiviste de la ville, à l’occasion des commémorations du quatrième centenaire de la fondation du port et de la ville. On commença à la démolir en octobre 1861 et il ne fallut pas moins de 6 années pour en venir à bout. C’est dire si elle était solide et combien ceux qui œuvrèrent à sa démolition en bavèrent des ronds de chapeau pour mener à bien leur funeste entreprise.

Louis Brindeau rapporte que l’émotion des Havrais fut si vive à l’époque « que le conseil Municipal, s’alarmant, vota très rapidement une subvention, d’ailleurs insuffisante, pour la reconstruction de la tour en arrière de son emplacement. Mais cette délibération resta lettre morte. » Les pierres de la grosse tour seront utilisées à la construction des brises-lames qui, tout compte fait, occupèrent purement et simplement la place ainsi libérée. Sans doute y avait-il moyen d’aménager l’entrée du port sans démolir la « grosse tour ». Mais ceci est une autre histoire…

 

Sources :

« Antiquitez du Havre de Grâce », Jean Laignel (Hervé Chabannes et Dominique Rouet, Histoire et Patrimoines), 2010

« Mémoires de Guillaume de Marceilles, La première Histoire du Havre », Hervé Chabannes, Jean-Baptiste Gastinne, Dominique Rouet, Yves Boistelle, 2012.

« Notice sur la grosse tour du Havre », Abbé Lecomte, 1862.

« À travers Le Havre d’autrefois », Philippe Barrey, Commémoration du IVe centenaire du Havre, 1917.

« Le Havre de Grâce et ses navires », catalogue illustré de l’exposition du Port autonome du Havre, 1927.

« Histoire, antiquités et description de la ville et du port du Havre de Grâce, avec un traité de son commerce », Jacques-Olivier Pleuvri, 1769.

« La poste au Havre des origines à nos jours », Société Philatélique Havraise, 1948.

« Souvenirs d’enfance et de jeunesse », Ambroise Joly, 1862.

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Commentaires
H
Tout savoir sur la « Grosse tour » il suffit de venir ici et on est comblé. Je suis de l’avis de Philippe Barrey, je pense que le port du Havre aurait très bien pu se développer sans la démolir, mais comme tu le dis : ceci est un autre histoire…
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