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Il était un Havre
Il était un Havre
  • Comme son nom l’indique, Le Havre fut d’abord un port avant de devenir une ville. C'est à la fois la plus récente des villes françaises et le benjamin de nos grands ports. Je vous propose un petit voyage dans le temps à la découverte de son passé.
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Au Havre, il est en vente à la Galerne, à la FNAC et à Auchan Montgaillard.

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29 octobre 2022

Du Négoce aux Affaires Publiques

Force est de constater qu’au Havre, à l’heure où les rues de la cité résonnent des clameurs des émeutes de subsistance de 1789, les liens, voire la confusion des genres, entre le Conseil de Ville, à la tête duquel se situaient les quatre échevins élus, et le comité des Négociants étaient pour le moins très étroits et ambigus. Comment en est-on arrivé à cet état de fait ?

Jean Legoy, dans son ouvrage « Le peuple du Havre et son Histoire, tome 1 », nous a livré les explications les plus simples, et par conséquent les plus claires, du fonctionnement de ces instances municipales :

« Dès l’origine Du Chillou, qui a la haute main sur tout ce qui concerne le port et la ville, administre la cité avec l’aide de quelques officiers de son entourage. Quand la ville commence à être habitée, deux notables bourgeois élus et un procureur-syndic lui sont adjoints pour l’aider dans sa tâche. Jusqu’à son départ en 1528, Du Chillou concentre en ses mains tous les pouvoirs : c’est le premier gouverneur du Havre. Le nombre des élus est porté à quatre vers 1540, et ils reçoivent le nom d’échevin sous le gouvernement de Sarlabos (1563-1584).

Donc, à la naissance de la ville, le pouvoir décisionnaire avait été entièrement placé par la volonté royale entre les mains du Gouverneur de la ville. Il en ira ainsi, ou presque, tout au long des mandats exercés par Guyon Le Roy, seigneur du Chillou (1517-1528), Jean du Bec, sieur de Bourry (1528-1529), Charles de Moy, sieur de la Mailleraye (1529-1560),Claude de Montmorency-Fosseux (1542-1547), Gaspard de chatillon, sieur de Coligny (1560-1562) ou encore Cordeban de Cardillac, sieur de Sarlabos (1563-1584), pour ne citer que les plus célèbres d’entre eux.

 

Le logis du Roi (1)

Le Logis du Roy, premier Hôtel de Ville du Havre

Puis, peu à peu, la conduite des affaires de la ville va passer des mains des représentants du pouvoir royal à celles des notables qui, par leur réussite et leur influence, avaient contribué à bâtir la richesse et le rayonnement de la ville et du port, en même temps qu’ils travaillaient à leur propre fortune. Le déclic s’est peut-être produit au moment où, en 1551, les notables de la ville rachètent, avec l’accord du Roi Henri III, la bâtisse que s’était fait construire pour son usage personnel le seigneur du Chillou pour y installer la maison de ville. Y eut-il à ce moment précis une prise de conscience ? Un désir spontané, individuel ou collectif de présider aux destinées d’une cité et d’un port qu’ils avaient grandement contribué à faire grandir ? Ou cela se fit-il d’une façon naturelle et logique au fur et à mesure que le commerce et les échanges maritimes prenaient de plus en plus d’importance dans la vie de la cité ?

Ce n’est qu’en 1587 que la ville reçoit sa constitution définitive qui règle son administration jusqu’en 1789, poursuit Jean Legoy dans le tome 1 de son ouvrage « Le peuple du Havre et son Histoire ». Les « ordonnances et règlements faits par Monsieur de Villars, Gouverneur pour Le Roy » décident que la ville sera administrée par quatre échevins dont le plus ancien est remplacé chaque année par élection, à la fête des Saints-Innocents. Le premier échevin préside l’assemblée en l’absence du gouverneur ou de son lieutenant. Huit conseillers et douze notables choisis parmi les plus riches habitants, s’associent aux échevins lors des assemblées générales. Ils élisent un procureur-syndic chargé de défendre les franchises, privilèges et intérêts de la ville et aussi d’étudier et de proposer les mesures intéressant la communauté. Ils élisent également le receveur des deniers communs qui est responsable des finances de la commune, le greffier qui remplit les fonctions de secrétaire et tient les registres, le ménager chargé de surveiller les travaux ordonnés par la communauté et enfin ils nomment deux clercs-sergents qui font fonction d’huissiers. Le gouverneur, les quatre échevins, le procureur-syndic, le greffier, le ménager et les deux clercs-sergents composent le « corps de ville », qui siège depuis 1551 dans le « Logis du Roy », premier hôtel de ville du Havre, situé près du quai, à l’emplacement de l’actuel boulevard John Kennedy ».

Panneau Emeutiers

D’une manière que l’on pourrait qualifier de naturelle, si l’on admet l’idée que cela puisse l’être, les hommes à la tête des grandes fortunes de la ville se trouvèrent très vite appelés à prendre en main les postes clés de l’administration de la cité. Comment s’étonner que l’économie locale ait servi de marche-pied à ces notables fortunés et influents et leur ait permis d’accéder aux plus hautes fonctions. C’était une époque où l’on ne posait guère de questions sur ce que nous appellerions aujourd’hui « conflit d’intérêts » et cette prise en mains des destinées de la ville par les notables de la place n’était finalement que la reconnaissance aussi simple qu’évidente des retombées que les affaires de ces derniers avaient sur la richesse et le rayonnement de la ville et de son port.

« Le régime municipal du Havre était une bourgeoisie très jalouse de sa condition et assez dédaigneuse du pauvre peuple, écrivait Flour de Saint-Genis dans « L’esprit public et les élections au Havre de 1787 à 1790 » (Recueil des publications de la Société havraise d’études diverses, 1889), mais c’était une bourgeoisie ouverte, qui se recrutait volontiers parmi les petits marchands enrichis, les matelots devenus armateurs, et même les étrangers auxquels d’heureuses spéculations avaient donné droit de cité ». Et il ajoutait : « Cette situation particulière se caractérisait par l’échevinage, l’égalité de droits des échevins, et le privilège de l’élection conféré à un groupe très restreint. Les Havrais protestaient aussitôt qu’on touchait à ces habitudes ».

C’est précisément ce qui se passa lorsque des édits réorganisèrent, en 1764 et 1765, l’administration municipale dans toutes les provinces, et la rattachaient au pouvoir central en réservant au Roi la nomination du Maire. À la requête des échevins, lesquels se réclamèrent des privilèges jadis accordés à la ville de Grâce par les différents souverains au cours de l’Histoire de la cité portuaire, une exception fut faite pour Le Havre. Nos édiles revendiquèrent et, chose extraordinaire, ils obtinrent que soit maintenu pour Le Havre le régime de l’échevinage. « Ses quatre échevins, son procureur syndic, son greffier et son receveur continuent à former le Conseil ordinaire qui, joint aux anciens échevins, aux quarteniers et aux huit bourgeois notables constitue le Conseil général, lit-on dans une communication de Suzanne Deck intitulée « Les municipalités en Haute-Normandie » parue en 1962 dans les « Annales de Normandie », (12e année, n°3, 1962. pp. 151-167). Le lieutenant du Bailliage évincé conserve simplement droit de séance sans voix délibérative ; le Gouverneur reprend la présidence, remplacé en cas d’absence par le premier échevin : celui-ci seul prête serment aux mains de l’Intendant et c’est lui qui reçoit le serment de ses confrères. Jusqu’à la Révolution, les bourgeois préserveront les organes urbains du XVIe siècle ».

Bassin du Roy 1776

Le bassin du Roy en 1776 (d'après une gravure de Ozanne)

 

Il était sans doute inévitable que des liens étroits et néanmoins solides se tissent entre les intérêts de la ville et ceux des négociants dans une confusion des genres qui prirent au Havre des proportions beaucoup plus importantes ici qu'ailleurs. Qu'un Jacques-François Begouen soit rapidement devenu le personnage à la fois le plus riche, le plus puissant et le plus influent qu'ait jamais connu la ville n'est finalement pas étonnant du tout. Et que les négociants et les armateurs se soient succédé quasiment sans interruption aux postes stratégiques d'échevins, positions indispensables sans nul doute à des prises de décisions qui aillent dans le sens de leurs affaires, découle bien évidemment de cette nécessité de contrôle et de choix stratégique.

Jusqu’à la Révolution, le bureau ou conseil permanent de la commune fut donc composé de quatre échevins, chacun d’entre eux étant élu pour quatre ans ; Le premier échevin en exercice sortait du conseil et un nouvel échevin, élu par l’assemblée générale qui se réunissait chaque année le 28 décembre, faisait son entrée au conseil ; Le plus ancien (en poste) des échevins prenait alors la fonction de premier échevin qu’il conservait durant une année avant de se joindre au corps des anciens échevins.

Toutefois, il semble que cette règle ait parfois connu des exceptions et qu’un même échevin ait accompli plus que son mandat légalement prévu. Il en va ainsi, par exemple, pour Michel-Joseph Dubocage, élu à trois reprises premier échevin du Havre de 1736 à 1747 et membre du Conseil de ville jusqu’en 1751. Était-ce en raison de compétences exceptionnelles et indispensables ? À cause d’une absence de candidats ? Ou en raison d’une confusion ? En effet, à cette époque, les pères, les fils, les oncles, les neveux, les cousins, portaient souvent, à quelques variantes près, les mêmes prénoms…

On le voit, tout était parfaitement ordonné pour que les postes clés qui leur permettaient de garder la main sur les destinées de la cité et de son économie ne puissent échapper aux hommes les plus influents de la place, bourgeois, négociants, armateurs, avocats. On pourrait même aller jusqu’à dire que c’était en quelque sorte des affaires de familles, les plus fortunées, les plus puissantes, les plus influentes. Ces hommes de pouvoir se cooptaient et s’élisaient entre eux, et, même lorsque le règlement leur interdisait de briguer un nouveau poste d’échevin, il leur était loisible de jouir des avantages accordés aux anciens échevins, lesquels les autorisaient à siéger à vie au Conseil de Ville, gardant la possibilité d’émettre un avis sur telle ou telle question, n’hésitant pas à user même de toute leur influence et de leur statut social pour faire pencher la balance du côté que leur commandaient leurs intérêts…

 

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Commentaires
H
C’est un travail colossal que tu as fait là. Il n’est guère aisé de s’y retrouver dans l’administration de la ville avant la Révolution. Tu mets bien l’accent sur tous ces notables qui s’élisaient entre eux et qui au final ne s’occupaient pas du « petit peuple ». Certes de nos jours c’est moins compliqué mais est-ce pour autant qu’il n’y ait pas de lien entre notables et entreprises ? Ton récit à propos des notables de la ville me fait penser à la destinée du père d’Alexandre Lesueur qui se mouvait dans ce milieu des affaires et que lui-même voulait faire partie des notables de la ville. Voilà une histoire que tu devrais conter sur ce blog, car elle est très intéressante.<br /> <br /> Bon dimanche Gérard.
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