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Il était un Havre
Il était un Havre
  • Comme son nom l’indique, Le Havre fut d’abord un port avant de devenir une ville. C'est à la fois la plus récente des villes françaises et le benjamin de nos grands ports. Je vous propose un petit voyage dans le temps à la découverte de son passé.
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Au Havre, il est en vente à la Galerne, à la FNAC et à Auchan Montgaillard.

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24 mars 2019

La demeure de Rou

 

Vue de RouenRouen, vue prise de Canteleu, dessin d'après nature par Deroy (Collection G.H.)

 

 

 

M'en voudrez-vous beaucoup si, le temps d'un billet, je m'éloigne quelque peu de notre bonne ville du Havre pour remonter le cours de la Seine pour vous parler un peu d'une autre Histoire, d'un autre aspect de notre passé qui m'anime et me passionne : L'Histoire du Duché de Normandie. Et, en l’occurrence, je veux présentement vous entretenir d'une question qui ne cesse de me titiller, de m'interroger, voire de m'agacer : l'origine du nom de sa capitale historique.

Rouen, c'est le Rothomagus des Véliocasses, ces Gaulois Belges qui, avec les Calètes du pays de Caux, entre autres, participèrent, en 52 avant J.C., au soulèvement général contre Jules César en fournissant 3000 hommes à l'armée constituée pour porter secours à Vercingétorix. « Plus tard, dans les traductions du latin en langue vulgaire, écrit Henri Fouquet en 1876 dans son Histoire civile, politique et commerciale de Rouen depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours,on la nomme successivement Rotoma, Rhoëm ou Roëm ; enfin, un arrêt rendu au XIIIe siècle par l'échiquier de Normandie lui donne le nom de Roam ».

Depuis des lustres, j'ai acquis la conviction que le nom de Rouen trouve son origine dans le nom de celui qui fut, suite au traité de Saint-Clair-sur Epte, en l'an 911, le premier jarl de Normandie. Certes, il est entré dans notre Histoire sous le nom de Rollon. Mais si l'on en croit le Livre de la colonisation écrit entre 1100 et 1125 en Islande, son véritable nom semble avoir été Göngu-Hrólfr que l'on pourrait traduire par «  Hrólfr le marcheur ». Sa légende a fait de lui un personnage si imposant en taille et en poids qu'aucun cheval n'était en mesure de le porter. D'autres sources, sans doute plus « sérieuses », avancent que ce surnom lui avait été attribué parce qu'il avait longtemps, très, très longtemps, erré avant d'amarrer son knórr sur les rivages de la Seine. Qu'il avait beaucoup marché, en somme. Un sobriquet qui saluait en lui « le vagabond » en quelque sorte.

 

HdF1969_07ANormands_WEB

Mais dans de nombreux textes anciens, Hrolf le marcheur, notre Rollon, apparaît sous le nom de Rou. Il y a bien sûr le célébrissime Roman de Rou de Wace, cet auteur anglo-normand du XIIe siècle, que d'aucuns ont affublé du prénom de Robert, alors que rien ne vient valider cette assertion, et surtout pas l'intéressé lui-même. Mais on pourrait également cité la Chronique ascendante des ducs de Normandie du même Wace : « Quant un clerc de Caen, ki out non mestre Vace, S'entremist de l'estoire de Rou et de s'estrace, Qui cunquist Normendie, qui qu'en pois[t] ne qui place, Contre l'orguil de France qui encor nos manace :Que nostre roiz Henri la cognoisse e sace, Quer gaires n'ai de rentes et gaires n'en porcace». Mais aussi Benoît de Sainte-Maure et sa Chronique des ducs de Normandie : « E si'n fai cest congoignement, Kar, sire, si od Rou t'alies, Par lui mais e par ses ales, Porras les genz veintre e mater, Qui vers tei voudront contrester. Sire, en Rou n'a avilement ». Quant à Dudon de Saint-Quentin, lorsqu'il mentionne la probabilité que lorsque Rollon a « rencontré » Poppa, la future mère de Guillaume Longue-Épée, le second duc de Normandie, celle-ci n'était encore qu'une enfant, il écrit : « N'aveit encor el sein ne triant ni mamele ; Rou en a fait s'amie, ki mult l'a désirée » (1).

 

Rollon 2

Mais, plus près de nous, au XIXe siècle, le nom de Rou pour désigner le Viking qui s'était fait prince apparaît encore, par exemple, en 1814, sous la plume d'André de La Fresnaye, dans sa Nouvelle histoire de Normandie, enrichie de notes prises au Muséum de Londres et nouveaux détails sur Guillaume le Conquérant,... terminée par les Amours d'Arleitte : « C'est à cette époque que la chronique (de Benoit de Sainte-Maure) fixe l'origine de la dénomination de Normandie,et elle l'explique en ces termes : et pour ce que Rou et ces gens étoient venus de Denemarche, qui sont contrée vers le nord, les gens du pays et d'ailleurs, les appellèrent Nordmans, c'est-à-dire, hommes du Nord ».Plus tard, en 1891, dans le très sérieux Histoire de l'Europe, et en particulier de la France de 395 à 1270 : rédigée conformément aux programmes officiels pour la classe de troisième par Charles Bémont, on peut lire : « Vers la fin du règne d'Eudes, ceux de la Seine rencontrèrent un chef qui possédait à un degré remarquable l'intelligence de la guerre et l'instinct du gouvernement. C'était Hrolf, Rollon ou Rou, qui était d'origine danoise, comme la plupart de ses compagnons. Après avoir mené pendant longtemps la rude vie de roi de la mer, il vint en 898 s'établir à Rouen ». Un auteur a même cru pouvoir rattacher directement le nom du chef Viking à la fameuse clameur de haro, cette forme de protestation légale et suspensive ayant eu cours autrefois en Normandie : « Ce cry de haro a pris son origine de Rou ou Rollon, premier duc de Normandie, qui fut prince sévère et de si grande justice, que, de son temps, les laboureurs laissoyent aux champs leur charrue et autres outils à labourer, sans crainte des larrons. Et longtemps après ne fut trouvé en Normandie qui emblast, ne tollust le bien d'autruy : de sorte qu'après sa mort, les gens à qui on faisoit quelque force se prenoient à crier harou ou haro, comme regrettant leur bon prince et l'appelant à leur ayde », écrivait un certain Terrien en 1574.

 

vitrailstclairsurepte

Et puis, pour conclure cette fastidieuse énumération (non exhaustive) des textes anciens qui perpétuent le nom de Rou, je ne peux résister à la tentation de citer un roman découvert au hasard de mes divagations sur le site de la Bibliothèque Nationale de France, https://gallica.bnf., et dont je ne saurais que vous recommander la lecture, tant il nous fait découvrir Harold, le rival de Guillaume le Conquérant au trône d'Angleterre, sous un éclairage auquel nous, Français, ne somment pas habitués à le voir et à le concevoir, et je dois dire que le Saxon me parut tout à coup infiniment plus sympathique et attachant que le vainqueur de la bataille d'Hastings. Il s'agit du roman d'Edward Bulwer Lytton, Harold : le dernier des rois saxons, paru en 1852. L'auteur a inclus à son récit un long poème intitulé La ballade de Rou (Comment savoir s'il s'agit d'un texte ancien et authentique ou si on le doit à la seule imagination de sir Edward Lytton) dont l'extrait reproduit ci-dessous narre la rencontre, à Saint-Clair-sur-Epte, en l'an 911, entre le futur maître de la Normandie et le Roi des Francs Charles III « le Simple » : « Ainsi donc vint Rou le Normand sur les bords de l'Epte. Le roi Charles, sur son trône, et entouré de ses barons, l'y attendait dans les champs de Saint-Clair. Rou mit sa main dans la main du roi. Toute la foule était dans la joie. Cependant on voyait quelques larmes dans les yeux du roi, tant l'étreinte de Rou avait été violente.— Maintenant, baisez le pied royal, dit l'évêque, vous le devez en signe d'hommage. Le visage de Rou s'assombrit, le sourire fit place à la colère sur le front de ce rude converti. Cependant il prend le pied, comme s'il s'agissait de le porter à des lèvres serviles. Les Normands murmurent ; Rou secoue le trône, et le roi tombe à la renverse. Les Normands font entendre de bruyants éclats de joie ; les Francs sont interdits. Rou relève sa tète comme le mât un instant courbé par les vents :— J'ai dit que j'adorerais un Dieu, mais non pas un homme, dit Rou ».

Voilà, tout cela pour dire que, depuis très longtemps déjà, j'étais intimement convaincu que les noms de Rouen et du chef viking étaient étroitement liés. Que Rouen signifiait la ville de Rou, en quelque sorte. Ou quelque chose d'approchant. C'était pour moi d'une telle évidence qu'il n'était pas possible, pas concevable, que je fus vraiment le seul à avoir fait le rapprochement. Après tout, n'est-il pas admis à la quasi-unanimité des sommités es-Histoire de la Normandie que Roumare, cette localité sise en bordure de la forêt éponyme, c'est la mare de Rou, même s'il n'a jamais été prouvé que le Rou en question soit effectivement notre Rollon ? Alors, pourquoi ne pas admettre que Rouen puisse être la ville de Rou ? Pourquoi ne pas le reconnaître, ne pas l'admettre, ne serait-ce qu'au chapitre des probabilités ? Mais voilà, durant toutes ces années, je demeurais désespérément seul. Pas une fois, je n'avais lu, nulle part, la moindre confirmation de cette hypothèse. Et jamais, à chaque fois qu'il m'avait été donné l'occasion d'en discuter, il ne s'était trouvé un interlocuteur qui vint peu ou prou abondé dans le même sens. Pas un document, pas un témoignage qui vint apporter de l'eau à mon moulin. Rien de rien...

Et puis, voilà, il y a peu, le (tout petit) « miracle » s'est enfin produit. Coup sur coup, toujours en explorant les innombrables trésors enfouis dans les labyrinthes insondables et hasardeux de la B.N.F., je parvins à dénicher deux documents que je qualifierai d'essentiels, du moins à mon très modeste et dérisoire niveau, pour l'accréditation de cette thèse qui, vous l'avez compris, m'est particulièrement chère.

Le premier est dû à la plume de Charles Quin, à qui nous devons le remarquable Le Havre avant l'histoire et l'antique ville de l'Eure. Dans cet autre ouvrage, paru en 1883, intitulé Origine des populations normandes, voici ce qu'on peut lire sous la plume de Charles Quin : « Un accord intervint, en l'an 912, à Saint-Clair-sur-Epte, entre le roi de France et Rou ou Rollon, leur chef alors. Une partie de la Neustrie fut érigée en duché et cédée à Rollon, qui la détenait déjà. Elle comprenait tout le pays entre la Manche et une ligne partant du Tréport, descendant vers Saint-Clair et s'arrêtant à la baie du Mont-Saint-Michel. On l'appela duché de Normandie ; Rollon se fixa à Rouen, qui devint, sous ses successeurs, la perle de la couronne ducale. L'origine du nom de Rouen a été établie dans l'histoire publiée récemment sons les yeux de l'administration de cette ville, ainsi qu'il suit : « Rothomagus des Vélocasses, palais de Roth. (Idole d'après Saint-Mellon.). Et plus tard, Rou-Ham, village de Rou. Le nom de Rouen ne dérive donc pas de Rothomagus, mais bien de Rou, son premier duc. Il faut en croire les intéressés ».

La seconde confirmation émane d'Henri Fouquet qui, en 1876, écrivait dans son Histoire civile, politique et commerciale de Rouen depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours : « Recherchons maintenant l'origine du nom de Rouen ; car, il est inutile de le dire, ce berger Rothomagus que l'on voit avec ses moutons sculpté sous la voûte de notre vieux beffroi est une simple création légendaire. Les savants ont accumulé conjectures sur conjectures au sujet de cette étymologie ; le nom même de la ville a varié souvent chez les écrivains ; ils l'appellent tour à tour Rathumagus, Rothomagus, Rhodomo ou Rotomo, Rhodomum, Ritumagum. La difficulté est de savoir l'origine de ces différents noms. Les savants se sont livrés à cet égard à des discussions sans fin et surtout sans vraisemblance. L'opinion émise par M. Chéruel est la plus simple de beaucoup et la plus probable. Une grande métairie gauloise, à une époque fort reculée, est venue sans doute s'établir sur la rivière de roth ou Roth-Bec. On l'aura nommée, en langue celtique, Roth-Mag, la maison de Roth. D'autres métairies, ou cabanes, ou huttes se sont agglomérées autour d'elle, et, par extension, aura été appliqué à la bourgade résultant de là le nom de Roth-Mag, devenu plus tard, dans la traduction latine, Roth-Magus, puis Rothomagus. Plus tard peut-être, car on en est toujours réduit aux conjectures pour cette étymologie, après la conquête de Rollon, nommé Rou dans les poésies du Moyen-âge, le nom latin de Rothomagus aura été abandonné ; on lui aura substitué celui de Rou-Ham, demeure de Rou, comme on a dit Rou-Mare, mare de Rou, etc. Par corruption, Rou-Ham est devenu ensuite Ro-Am, ro-Em, enfin Rouen en langue moderne ».

Vous l'avez compris, tout cela demeure, bien entendu, au stade des hypothèses. J'ai, pour ma part, ma conviction et je vous laisse, à votre tour, si le sujet vous intéresse et si le cœur vous en dit, vous faire votre propre opinion...

1) N'allez surtout pas croire ceux qui pourraient prétendre que si je n'ai pas traduit ces textes en Français moderne, c'est dans le seul but de leur conserver toute leur originalité et toute leur poésie. En vérité, si je ne les ai pas traduits, c'est parce que j'en suis tout simplement totalement incapable.

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Commentaires
G
Bonjour, Geneviève,<br /> <br /> Merci pour votre message. Je suis très heureux de voir que cette petite escapade rouennaise vous ait plu. <br /> <br /> Comme Daniel Haté, vous semblez m'encourager à poursuivre dans cette exploration de la Normandie et de son Histoire. Celle des grandes heures du Duché notamment. Je suis en train d'y réfléchir...<br /> <br /> Pour répondre à votre question concernant les différentes formes du nom de Rollon, il semble, je dis bien, "il semble", que Rou soit la forme anglo-saxonne de ce nom, ce qui expliquerait que c'est sous comme tel qu'il apparaît à l'époque où l'Histoire du duché était écrite par des chroniqueurs anglo-normands.<br /> <br /> Bonne journée, Geneviève, et merci encore pour votre fidélité à ce blog.
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G
…"si je vous dis un monde"... après "m'en voudrez-vous beaucoup" :-)<br /> <br /> <br /> <br /> Merci d'avoir élargi regard et plume !<br /> <br /> L'histoire de Rouen m'était plus inconnue… ainsi que l'évolution de son nom. Me reste une question : peut-être également Rollon a été nommé Rou parce que justement s'est contracté et Rollon et Rou ? … :-)<br /> <br /> Grandes Histoires de combats et de de civilisations…
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H
Salut Gérard <br /> <br /> Là je ne suis pas à proprement parlé en terre inconnue, mais en époque inconnue et c’est toujours agréable de te lire car là j’apprends beaucoup de choses, normal je ne sors pas de l’histoire du Havre, et ça fait du bien de changer d’air de temps en temps ! <br /> <br /> Donc personnellement je ne t’en veux pas, au contraire je serais tenté de te dire continue comme ça !
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