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Il était un Havre
Il était un Havre
  • Comme son nom l’indique, Le Havre fut d’abord un port avant de devenir une ville. C'est à la fois la plus récente des villes françaises et le benjamin de nos grands ports. Je vous propose un petit voyage dans le temps à la découverte de son passé.
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Au Havre, il est en vente à la Galerne, à la FNAC et à Auchan Montgaillard.

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28 janvier 2018

Et le plateau de Caux devint normand

 

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Sans doute parce que coulait encore dans leurs veines un sang mêlé d’eau de mer et de vent, les descendants des fiers hommes du nord devenus les maîtres de l'ouest de la Neustrie avaient fait de Fécamp l’un de leurs lieux de résidence préférés. C’était cette étroite relation avec la mer qui leur était vitale. Un besoin viscéral de la voir, de l’entendre, de la respirer, de la sentir danser sous leurs pieds au rythme cadencé de la houle et du vent. Après tout, les temps n’étaient pas encore si éloignés où les knerrir (1) de leurs aïeux avaient surgi des brumes de la mer nordique et que les hommes venus de Scanie et de Thulé (2) s’étaient établis à demeure dans cette contrée, terre de conquête, se faisant pêcheur, paysan, artisan… Il n’était pas un seul d’entre eux qui n’éprouvât le besoin de fleurer la mer toute proche, de vibrer à la seule vue de l’écume des vagues, de s’émerveiller de la variété de ses couleurs, de s’imprégner de ses odeurs iodées.

 

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Pour les mêmes raisons, on les imagine mal se désintéresser des rivages de l’estuaire de la Seine. N’était-ce pas après tout le théâtre des premières apparitions, au début du Xe siècle, de ces étranges navires aux grandes voiles carrées sur lesquels ils étaient partis à la découverte de nouveaux territoires ? N’était-ce pas ce même estuaire de la Seine qui leur avait ouvert toutes grandes les portes de ce morceau de la Neustrie dont ils allaient faire, grâce aux accords de Saint-Clair-sur-Epte de 911, la province des Northmanni ? La province des hommes du Nord. La Normandie. Et puis, la pointe de Caux n’était-il pas l’endroit idéal où placer une poste de vigie qui permettait plus que nul autre de surveiller efficacement les mouvements de navires dans la rade et dans l’estuaire ? En toute objectivité, on les voit mal se priver d’un emplacement doté d’un tel point de vue panoramique.

Mais, hélas, de leur présence sur le plateau de Caux, les Vikings ne laissèrent guère de vestiges. Point de navires amphidromes, point d’armes ou d’outils, point de bijoux… Les traces de leur présence, c’est plus sûrement dans ces éléments de langage qu’ils nous ont transmis et dans les noms de nos villes et villages qu’il faut les chercher.

Ainsi, ces mots de la mer, flot (« Flod » en norrois : marée montante), houle (du norrois « Hola » : creux), vague (issu de « Vagr »: vague), bâbord, tribord de « borð » signifiant « planche, côté de la coque d’un bateau », que nous devons à nos ancêtres les Vikings. Tout comme ces noms de villes ou de villages qui se terminent en « tôt » (du norrois topt, signifiant « emplacement, terrain ») : Turretôt, Criquetôt, Yvetôt..., en « bec » (de l’ancien scandinave bekkr « ruisseau ») : Caubebec, Bolbec, Le Bec-Hellouin…, en « dalle » (du vieux norrois dalr « vallée ») : Dieppedalle, Oudalle…, ou en « beuf » (issu de l’ancien scandinave both « cabane, baraque ») : Elbeuf, Criquebeuf, indiquent indiscutablement une installation de ces hommes du Nord dans la région.

Et sur la pointe de Caux, quelle empreinte ont-ils laissé de leur séjour, ces Vikings ?

L’anthroponyme norrois Ingulfr ou Ingólfr semble bien se retrouver dans le nom du village d’Ingouville, même si son étymologie reste encore aujourd’hui sujet à controverse. Ingouville : Ingulfi villam, la ville (au sens ancien de « domaine rural ») d’ Ingulfr ou Ingólfr.

La première mention connue de ce village accroché sur le flanc de la falaise date de 1210. D’Ingouville et de ses habitants, nous ne savons à vrai dire pas grand-chose avant le XVIe siècle. Néanmoins, l’occupation du site est vraisemblablement très ancienne, rappelons-nous que plusieurs sépultures gallo-romaines y ont été retrouvées le long du coteau. Si l’on sait que le coteau était plutôt boisé, on peut conjecturer que le territoire inférieur, par contre, devait être propice à l’agriculture puisque ses habitants avaient choisi des épis pour emblème de leur sceau paroissial.

À l’évidence, l’espace qui s’étendait au sud jusqu’au rivage de l’estuaire était marécageux, et l’on peut supposer que ses habitations s’étaient, pour l’essentiel, regroupées sur le versant de la côte et au pied du coteau.

Sur ces terrains d’alluvion qui avaient, le long de la côte, entre Leure et le Bas-Sanvic, donné naissance à une vaste plaine non cultivable entrecoupée de vases,

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de criques et de marécages, les habitants d’Ingouville, à qui le seigneur de Graville avait accordé l’usufruit, faisaient pâturer les bestiaux. C’est ce que confirme le témoignage d’un certain Martin Paré lors de l’enquête de 1532 (3) :

« Sur les marais et criques (du Havre) croissait et croit de l’herbe bonne pour pâturer les moutons et vaches envoyés par les paroissiens d’Ingouville, en qualité de communiers. Comme profit, c’est la nourriture des bêtes de la paroisse d’Ingouville, et de leurs bêtes engraissées, ils paient les tailles (impôts) et se nourrissent ».

Ce que faisant d’ailleurs, les habitants d’Ingouville apportaient leur contribution, sans doute conséquente à l’époque, à l’économie locale, puisque « Les moutons des paroissiens d’Ingouville fournissaient une partie de la laine nécessaire aux nombreuses fabriques de draps établies à Montivilliers pendant les XIII e, XIVe et XVe siècles. », souligne l’historien havrais Alphonse Martin (4).

Cette présence des hommes du Nord, on la retrouve aussi dans le nom de la commune de Sanvic.

« Il semble hors de doute que Sanvic est un nom d’origine scandinave, qui a été donné par les Normands du Nord, conquérants de notre pays, et qui signifie : Baie au sable (5). Il doit donc remonter au IXe siècle de l’ère chrétienne » (6), même s’il nous faut, pour être objectif mentionner cet autre hypothèse qui voit dans le nom de Sanvic la résultante d’une occupation saxonne. Cette dernière hypothèse semble toutefois être quelque peu en contradiction avec nos livres d’Histoire qui nous disent que les envahisseurs saxons s’implantèrent essentiellement en Basse-Normandie.

Quoi qu’il en soit, Sanvic est formellement mentionné dans une charte signée en 1035 de la main même du duc Robert de Normandie lorsque le duc confie le

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patronage de la chapelle du village à l’abbaye de Montivilliers. C’était alors un village qui présentait deux visages radicalement différents.

Le premier, au nord d’Ingouville, culminant sur le plateau à une centaine de mètres au-dessus du niveau de la mer, était désigné communément sous le nom de « Haut » Sanvic. C’était une bourgade constituée de petits hameaux épars, de terres arables et d’une population de cultivateurs.

Le second, le « bas » Sanvic, était une étroite bande de terre qui s’étirait en descendant depuis le haut du plateau jusqu’au bord de la mer et dont les habitants vivaient essentiellement des produits de leur pêche. C’est, grosso modo, notre actuel quartier Saint-Vincent. C’est vraisemblablement sur cette étroite bande de littoral que nos Vikings abordèrent, si tant est qu’ils l’abordèrent, un jour la côte à cet endroit. Le village existait-il déjà à cette époque-là ? Quel nom portait-il alors ? Avait-il été autrefois occupé par les Saxons ? Ces derniers étaient-ils à l’origine de sa formation ? Comme pour Ingouville, nous ne savons, hélas, quasiment rien de Sanvic jusqu’au début du XVIe siècle.

On apprend qu’à cette époque, le littoral du Bas-Sanvic était occupé par des briqueteries et des tuileries dont la matière première était extraite des marais du rivage. « Dès le XVe siècle, a écrit Jean Legoy (7), les terrains en bordure de la mer (Sanvic descendait alors jusqu’au rivage) et au Chef-de-Caux sont exploités pour la fabrication des tuiles et des briques ». Souvent, du reste, les habitants exerçaient simultanément deux professions et il leur arrivait de se dire « pêcheur-briquetier » ou « laboureur-tuilier ». Et Alphonse Martin de préciser : « On peut citer la famille Godin, qui avait fait des générosités à l’église, et dont l’un des membres se qualifiait de laboureur et de tuilier au XVIe siècle (8) ».

1) Pluriel de knorr, nom du bateau utilisé par les Vikings en haute mer. Le terme drakkar est une invention française du XIXe siècle.

2) Nom donné par l’explorateur grec de Marseille Pythéas à une île (imaginaire ou pas ?) située entre les îles Féroé et l’Islande.

3 Documents sur la fondation du Havre publiés par M. de Merval. Sans doute s’agit-il de l’enquête ordonnée par le Roi dans l’optique du rachat au Seigneur de Graville des terres sur lesquelles s’élevaient la ville.

4) « Le communisme et sa disparition dans la région du Havre », Alphonse Martin, Recueil des publications de la Société Havraise d’Études Diverses, 1898.

5) « sand » signifie « sable » en anglais, mais aussi en suédois, de danois, en norvégien. « vik » en suédois, « Vig » en danois et en norvégien se traduit par « baie », « anse ».

6) « Sanvic, Sandouville, Oudalle », F. Acher, Recueil de la Société Havraise d’Études Diverses, 1908.

7) « Le peuple du Havre et son Histoire », Jean Legoy, 1983.

8) « IVe centenaire du Havre – Origines du XIIe au XVIe siècle », Alphonse Martin, 1917.

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