L'embarras de Guillaume Gouffier de Bonnivet
L'amiral Bonnivet, cet ami d'enfance de François d'Angoulême devenu le proche conseiller de François 1er, était fort embarrassé. Le Roi lui avait demandé de prospecter la côte normande et la baie de Seine afin de déterminer le site le plus propice à la création d'un nouveau port. En fait, aucun des endroits qu'il avait visités, d'Étretat à l'estuaire de la Touques, en passant par Honfleur, ne lui avait vraiment paru correspondre à l'emplacement idéal dont il s'était mis en quête. Voyant l'embarras dans lequel se trouvait notre pauvre amiral, Neptune surgit de sa cachette océane et lui tint à peu près ce langage : « Ton maître demande un port à l'embouchure de la Seine, pour remplacer ceux que j'ai détruits, je n'en ai pas de prêts en ce moment, mais repasse après l'heure de la marée et je lui en aurai créé un qui deviendra le plus fréquenté de tout le Nord de l'Europe, si ses habitants ont soin de l'entretenir et de le mettre à l'abri des mauvais tours que le redoutable Éole me joue parfois ». Le dieu tint parole et, peu de temps après, une formidable marée submergea la bande de tourbe qui s'étendait de la Hève jusqu'au Hoc et, quand la mer se retira, on découvrit une vaste étendue d'eau retenue là par une longue ceinture de galets. La crique de Grâce était née…
Cette légende, que nous rapporte Théodore Garsault dans son Histoire populaire de la ville du Havre, a au moins le mérite de nous rappeler qu'au fil des siècles, les eaux de la mer et du fleuve varièrent, fluctuèrent, tantôt découvrant, tantôt recouvrant, au gré de leur fantaisie, des courants et des marées, ces terres marécageuses appelées à devenir nos rivages et nos plages, et sur lesquelles certains s'enhardirent à s'y installer, allant jusqu'à y construire des villes. Les alluvions charriées par le fleuve et les galets arrachés à la falaise par les assauts de la mer façonnèrent le visage du littoral, dessinèrent et redessinèrent inlassablement, parfois brutalement, parfois par touches successives, le profil de nos côtes, le cours du fleuve et la physionomie du rivage.