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Il était un Havre
Il était un Havre
  • Comme son nom l’indique, Le Havre fut d’abord un port avant de devenir une ville. C'est à la fois la plus récente des villes françaises et le benjamin de nos grands ports. Je vous propose un petit voyage dans le temps à la découverte de son passé.
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Au Havre, il est en vente à la Galerne, à la FNAC et à Auchan Montgaillard.

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25 juin 2017

La ruée vers L'Eure

 

Boulevard Amiral Mouchez

Ainsi, le bourg de Leure, qui avait en d’autres temps fourni 36 navires à la flotte de Philippe de Valois, subi la violente occupation de la soldatesque anglaise venue assiéger le port d’Harfleur, vu naître la formidable nef royale « La grande Françoise », n’était plus, à l’aube du XIXe siècle, que l’ombre de lui-même. Un village isolé, oublié, délaissé, ruiné et décimé par les maladies, tout juste peuplé de 200 pauvres hères, 200 âmes en déshérence, auxquelles on n’avait même pas épargné le double affront de supprimer le statut de leur commune et de fermer leur église, comme le rappelle Jean Legoy dans l’un de ses ouvrages : « En 1831, le village de Leure se meurt et compte moins de deux cents habitants. Il est alors supprimé du rang des communes et rattaché à Graville dont il devient l’un des quartiers, et on en profite pour fermer son église. 1»

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Mais, à partir de 1838, les choses vont changer du tout au tout. La ville du Havre étouffe entre ses remparts, elle menace de craquer, d’exploser sous la double pression économique et démographique. Les regards se tournent vers l’est, vers Leure. Les édiles havrais, soudain, vraisemblablement parce qu’ils n’ont pas une foultitude d’autres choix, se souviennent de Leure. S’intéressent à Leure, à ses plaines marécageuses, à ses grands espaces inoccupés, à Leure qui leur offre la possibilité de concrétiser leurs projets, d’y creuser de nouveaux bassins, d’y édifier les spacieux entrepôts dont a tant besoin le commerce maritime, d’y implanter ces usines que la modernité impose de « délocaliser », mais aussi d’y loger une partie de la population, la plus précaire, pour laquelle les loyers en centre-ville sont, plus que jamais, devenus inabordables. La meilleure preuve de cet intérêt subit ? Elle réside incontestablement dans le fait que lorsqu’en 1852, les édiles havrais annexent à la cité océane une partie de Graville, ils n’oublient pas d’inclure Leure dans le périmètre d’élargissement de leur territoire.

 

Magasins généraux

Donc, vers 1850, Leure se peuple, se repeuple, à la vitesse grand V. On aurait pu craindre que cet afflux de population ne dure que le temps que soient percés les nouveaux bassins et édifiées les entrepôts, les usines et autres hangars, tant il leur était étroitement lié, mais ces nouveaux habitants vont finalement se fixer durablement dans le quartier, précisément à cause des emplois induits par l’exploitation de ces nouveaux bassins, véritables extensions du port, et du trafic qui leur est associé, et de ces industries qui, les unes après les autres, viennent ici prendre leurs quartiers. Les ruelles s’élargissent, deviennent des rues. Les prairies et les marécages se couvrent d’ateliers, d’usines, d’entrepôts. La plaine de Leure est en voie d’assainissement et ici va naître un faubourg de la grande ville du Havre.

Dès 1838, un ancien armateur, J. A. Bossière, est à pied d’œuvre. La société qu’il a créée fait assécher les marais, met en place le système des égouts, et, sur le tracé de ce qui n’était encore alors que de bien étroites et indistinctes sentes, se matérialisent les rues d’Iéna, d’Arcole, de Fleurus, de Rivoli, des Briquetiers et du Pont-Rouge.

Sur le quai Colbert, on assiste à l’implantation des Forges Havraises, cette même année 1838, une entreprise de fonte au coke. Après avoir changé à plusieurs reprises de raison sociale et s’être appelée Charles Nillus et Cie, Forges d’Imphy, Lestrange, David et Cie, elle ferme définitivement ses portes en 1885. En 1839, c’est une fabrique de chaînes câbles, les établissements David, qui s’installe à son tour quai Colbert.

En 1840, trop à l’étroit dans leurs ateliers situés à l’ouest de la place Louis-Philippe, les frères Mazeline font l’acquisition de terrains le long du canal Vauban et y transportent leur industrie. Ces nouveaux ateliers, qui s’étendaient jusqu’à la ligne de chemin de fer Le Havre-Paris et dans lesquels étaient alors employés 200 ouvriers, leur permettent de se consacrer à la fabrication de machines marines pour l’État, ce qui leur valut en 1844 la grande médaille d’or et la croix de la Légion d’Honneur. En 1872, les ateliers Mazeline sont rachetés par les Forges et Chantiers de la Méditerranée.

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Lentement, mais sûrement, les industries se rapprochent du quartier de L’Eure… Mais les crises et les menaces de conflit allaient considérablement freiner le développement du quartier et il faudra encore attendre une quinzaine d’années pour assister au véritable démarrage. Au milieu de ces voies tracées quelque temps plus tôt par la société Bossière, un entrepreneur havrais, Alfred Quesnel, fait édifier les Magasins généraux en 1852. Des raffineries lui emboîtent le pas, imitées rapidement par bien d’autres industriels.

Après s’être installés quai Colbert 20 ans plus tôt, les établissements Nillus installent en 1853, sur la berge est du bassin de L’Eure, un chantier pour le montage de coques en fer. Le chantier, qui employait 200 ouvriers en 1860, verra la construction de 25 navires. À la mort de Charles Nillus, en 1884, l’entreprise, qui avait vu le jour sous la forme d’une petite entreprise de serrurerie rue de la Gaffe au Havre, sera reprise par Les Chantiers de la Loire.

Les trois décennies suivantes, le quartier va continuer à se structurer, à s’industrialiser, à s’urbaniser. Et, en 1883, c’est l’entreprise Caillard qui transfère ses ateliers du quai d’Orléans au numéro 20 de la rue de Prony. 120 ouvriers, 2500 mètres carrés d’ateliers. En 1895, l’usine est agrandie et on y ouvre un atelier de chaudronnerie. Elle sera reconstruite en 1946, car les bombardements de la seconde guerre mondiale l’avait entièrement détruite. C’est à cette occasion que l’usine est étendue jusqu’à la rue Bellot. Après bien des aléas, elle fermera définitivement le 31 décembre 2001.

Le Havre, principal port d’importation des minerais de Nouvelle-Calédonie, était tout naturellement le site idéal pour l’implantation d’une usine pour le traitement et l’affinage de ces produits. L’usine du Nickel s’installa donc en 1888 rue du docteur Piasceki, En 1978, l’usine sera transférée sur la zone industrielle.

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Et puis, en 1892, la société Lazare Weiler et Cie fait construire dans la plaine de L’Eure une usine de fils de cuivre et de bronze, chose on ne plus naturelle, là encore, puisque Le Havre était le premier port d’exportation des cuivres d’Amérique du Nord. En 1901, l’entreprise devint la compagnie des Tréfileries et Laminoirs du havre. Elle employait 900 personnes en 1897, qui seront 2000 en 1913, à mesure que la société se développe et s’étend, s’associe avec certains de ses concurrents ou les rachète.

Jusqu’au début du XXe siècle, les entreprises continueront à s’implanter dans le quartier de L’Eure. Westhinghouse, l’Électro-mécanique, les Corderies de la Seine, les Extraits Tinctoriaux et Tannants… Nous ne saurions toutes les citer. La liste en serait incontestablement très longue…

Parallèlement à cela, les habitants prennent peu à peu possession des lieux, s’organisent. Dès 1840, ils avaient obtenu la réouverture de leur église. Un moment très important à leurs yeux, on s’en doute, qui avait donné lieu à une grande fête populaire, comme le rapporte Charles Vesque dans « Histoire des rues du Havre » : « Le 29 juin 1840 fut un beau jour pour ce village. Un arc de triomphe de verdure et de fleurs avait été élevé à l’entrée du cimetière, et les jeunes filles de la paroisse, vêtues de blanc, attendaient les parrain et marraine de la cloche, offerte à l’église par les habitants (…) Après la cérémonie, les invités se réunirent dans un banquet intime, dans un pavillon qui avait été mis à leur disposition par M. Masurier. Une distribution de pain et de viande avait été faite aux pauvres de la commune par les soins de M. Joseph Périer.2 »

Eglise de l'Eure

Cette église sera par la suite démolie pour faire place à l’actuelle église Saint-Nicolas dont la première pierre fut posée le 13 août 1857 et qui fut consacrée le 13 juillet 1857. Durant les travaux de démolition de l’ancienne, il fut mis au jour de magnifiques pierres tombales que l’on put dater des XIIIe et XIVe siècles et établir qu’elles couvraient les sépultures des patrons de ces nefs qui ont été évoquées dans les premières lignes de ce billet et qui participèrent à la fameuse et désastreuse bataille de l’Écluse. On y découvrit également quantité de vases funéraires et les restes des chapiteaux d’une ancienne église.

Dans le premier opus de « Hier, Le Havre », Jean Legoy nous livre le témoignage d’un journaliste havrais datant de 1928 : « Le quartier de L’Eure est très animé. Industriel et maritime, il est parsemé d’usines, d’entrepôts et de bassins. Tout le jour, retentissent les bruits familiers au port et c’est le roulement incessant de charrois sonores.3 »

Mais, en dépit de son rattachement à la ville du Havre en 1852, de la présence d’un groupe scolaire, de nombreux commerces et, même, d’un champ de courses qui attire en juillet et en août nombre de Parisiens et d’Anglais, le quartier peine à sortir de son isolement. Les liaisons avec le reste de la ville sont malaisées, considérablement compliquées par le franchissement des ponts et des passages à niveau qui sont autant d’obstacles et de freins pour les habitants d’un quartier que l’implantation continue de nouvelles industries n’ont cessé de repousser toujours plus à l’est. C’est sans doute pour pallier à cet état de fait que le quartier bénéficiera dès 1880 d’une ligne de tramways hippomobiles et qu’il sera le premier à disposer d’une ligne de bus en 1929.

S’il fut durant la guerre 14-18 une terre d’asile pour les Anglais qui y concentrèrent hommes et matériel avant leur départ pour le front, le quartier fut sévèrement touché par les bombardements de la seconde guerre mondiale, en raison de sa proximité avec le port. Le quartier sera en grande partie reconstruit. Des travaux qui seront l’occasion d’en améliorer la voirie et les liaisons avec la ville.

Le début du XXIe siècle vit L’Eure entreprendre une véritable mutation qui devait donner au quartier un nouveau visage, mariant harmonieusement modernité et tradition, Histoire et contemporanéité, immeubles d’habitation modernes et docks réhabilités…

 

 

1) « Hier, Le Havre, tome I », Jean Legoy, 1996.

2) « Histoire des rues du Havre », Charles-Théodore Vesque, 1876.

3) « Hier, Le Havre, tome I », Jean Legoy, 1996.

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Commentaires
C
Dans mon roman H1954, j'avais écrit dans l'épilogue l'expression "La ruée vers Leure" ... A sa diffusion des lecteurs venus à la séance de dédicace chez Dombre, des anciens copains de l'école Courbet me pressèrent de retrouver d'autres témoins de notre enfance. Professeur, mais aussi journaliste dans la Presse Quotidienne du Havre, j'obtins l'appui de la rédaction dans un projet fou: créer dans le quartier de Leure, une fête populaire "La Ruée Vers Leure" en 2004 afin que l'on se souvienne non seulement de ce quartier ouvrier mais aussi du village de Leure apparu sur les cartes bien avant l'an 1000 ! Durant 7 éditions, cette fête eut lieu (2004... 2010) sous la forme d'un musée éphémère installé un samedi d'avril, entre la place Carlier et le Foyer des Dockers... Vinrent chaque année, non seulement des gens de notre génération mais aussi des anciens ayant vécu ou travaillé dans les usines, sur les quais, sur les bateaux: venus parfois de très loin avec un trop plein d'émotions à chacun de ces rendez-vous socio-culturels d'un jour par an... De l'humain, sans ressources financières: sans subventions, rien à vendre unique richesse la transmission d'un village ouvrier épris de solidarité manifestant sa colère contre toutes les formes d'injustice.<br /> <br /> Voilà le hasard de cette appellation que nous avons détourné d'une oeuvre de Charlie Chaplin m'a fait découvrir votre travail remarquable.<br /> <br /> Peut-être une occasion d'échanger. Avec ces premiers amis, nous continuons une démarche d'écriture. Notre livre "Dites-moi Leure" sorti en décembre s'est vendu en grande partie en deux semaines, c'est dire tout l'intérêt exprimé par les anciens comme les nouveaux habitants qui cherchent à comprendre l'histoire de Leure !
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G
Une sacrée histoire que cette histoire de l'Eure et de implantations d'usines. Je suis arrivée au Havre en 1976. Je n'osais pas ou tout juste conduire avec ma petite 4 L dans ces rues, encombrées de camions et de cyclistes ou piétons aux sorties des usines... J'avais des d'amis qui travaillaient à Caillard ou aux Tréfilleries ou à la l'electro-mécanique.... jeunes mariés ils avaient logé dans des petites maisons dans le quartier de l'Eure, puis à Chambreland, puis à Caucriauville en accédant à des logements neufs... Retraités, quelques uns décédés, ils racontent encore leur vie, leur action syndicale, dans ces industries.... <br /> <br /> Il restait des habitants dans ces quartiers dans les années 1990 à 2000, des populations plutôt pauvres et fragilisées... qui, j'en suis témoin par mon ancien travail dans le social, sont parties vivre à Bolbec fuyant la réhabilitation de leur logement, devenus trop chers à la location !<br /> <br /> L'Histoire se construit tous les jours !
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