Le palais de la Bourse
(Image "Collection villes de France")
Nous avons déjà tout dit, ou presque, sur la première Bourse des négociants havrais, située sur la place d’armes, à l’ombre de la tour François 1er et du Logis du Roi, et sur l’habitude qu’avait pris les négociants de se réunir à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe sur le parvis de l’église Notre-Dame et, par la suite, sur la place Louis XVI, future place Gambetta1. Il va sans dire que, pour la plupart d’entre eux, cette situation était toute provisoire et qu’ils appelaient depuis longtemps sans doute de leurs vœux l’édification d’un local digne de la place prépondérante qu’occupait désormais le commerce dans la vie des Havrais, de son influence grandissante dans la ville, en un mot comme en mille, un palais de la Bourse digne de leur rang, spatieux et confortable, où ils pourraient tenir leurs réunions dans des conditions convenables, et dont ils réclamaient la construction depuis les premières années du XIXe siècle.
« À la chambre de Commerce, écrivait en 1927 Louis Brindeau, le projet de construction d’un Palais sur la place de la Sous-Préfecture, soutenu par MM. Jules Siegfried et Robert Quesnel, avait été critiqué par Émile Masquelier et François Aubry. Au conseil municipal, saisi d’une demande de subvention, Léon Peulevey et Félix Faure défendirent le projet qui fut vigoureusement combattu par Gustave Brindeau. Dans la presse, Gustave Cazavan avait prêté, dans « Le journal du Havre », l’autorité de sa plume à la cause de la place Louis XVI. Mais son successeur, Amédée Marteau, avait passé dans le camp opposé.2 ». Comme le démontrent ces quelques lignes, le projet de palais de la Bourse ne faisait pas l’unanimité, et on imagine sans peine que les discutions, voire les affrontements, ont du être animées, y compris par la voix de la presse locale.
C’est, selon toute vraisemblance, pour ces raisons qu’il ne se passa pas moins de dix-huit ans entre les premières études, datant de 1860, et le 2 mars 1878 qui vit la pose de la première pierre de l’édifice, par le préfet Limbourg.
La mise en application du plan Lamandé avait laissé libre sur la rive nord du bassin d’Ingouville une grande place demeurée jusque-là vide de toutes constructions. Simple signe du destin ou projet déjà suffisamment mûri, cette place avait pris le nom de « Place du Commerce » en même temps que le Bassin d’Ingouville avait été rebaptisé du même nom. Dans son « Histoire des rues du Havre », Charles Vesque nous livre quelques informations sur l’utilisation qui avait été faite de cet espace avant que l’on y construisit le palais de la Bourse : « En 1831, à l’occasion d’une visite du Roi Louis-Philippe, le commerce fit construire sur la place une salle de bal provisoire. Le bal fut splendide (…) En 1848, y fut élevé un bâtiment en planches dans lequel on distribua de la soupe aux malheureux (…) Le 27 mai 1850, Godard y fit sa première ascension en ballon, laquelle le mena jusqu’à Montivilliers (…) Durant la guerre de Prusse (1870), la place servir de champ de manœuvres aux gardes mobiles du département.3 ».
C’est donc tout naturellement sur cette place au nom prédestiné, qui avait été « délimitée en 1826 par une double rangée d’arbres, nous dit Claire Etienne Steiner, mais n’est alors bâtie que sur deux côtés4 », que le choix d’édifier une nouvelle Bourse se porta, après que les autorités municipales aient opté pour la construction d’un Théâtre sur la place Louis XVI, la future place Gambetta, initialement pressentie pour accueillir la nouvelle Bourse. Le projet est lancé en 1870, mais le plan de l’architecte Louis Lemaître n’est, lui, définitivement adopté qu’en 1875. Mais les négociants devront encore patienter quelques années puisque la demande d’autorisation de construire ne sera déposée que deux ans plus tard et la première pierre sera finalement posée en 1878 par le préfet de Seine Inférieure (C’est ainsi que s’appelait autrefois la Seine Maritime) et en présence du Maire du Havre Ulysse Guillemard.
La construction est achevée en 1880. Ce millésime, du reste, ornait le fronton de la façade du côté de la place Carnot. C’est un magnifique bâtiment de style Renaissance, dont le décor de ferronnerie est dû au Rouennais Ferdinand Marrou. Un passage en arcade le traverse, permettant d’accéder de la place Carnot, côté nord, à la place Jules Ferry, côté sud. On notera aussi qu’à l’époque, la rue Victor Hugo, qui se prolongeait jusqu’aux casernes (Rue du Bocage), passait devant la façade sud du Palais de la Bourse.
Le 28 septembre 1880, les négociants se réunissaient pour la dernière fois sur la place Louis XVI. La nouvelle Bourse et la Chambre de Commerce de la place Carnot étaient inaugurées dès le lendemain.
En 1887, à l’occasion de l’exposition maritime internationale, on construisit une passerelle, provisoire, disait-on à l’époque, en bois, qui, juste devant la Bourse, pour créer un lien entre les nouveaux quartiers et celui de Saint-François. Un trait d’union dont les Havrais, l’Histoire nous l’a appris, allaient bientôt ne plus pouvoir se passer. Cette passerelle provisoire sera remplacée en 1899 par une autre, toute de métal constituée, dont la partie centrale s’ouvrait pour laisser le passage aux nombreux navires qui, à cette époque, trouvaient refuge dans le bassin du Commerce. En 1963, cette passerelle avait été démontée et il faudra attendre 1969 pour que soit inaugurée cette élégante passerelle, conçue par l’architecte Guillaume Gillet, qui enjambe de nos jours le bassin.
Juste un mot sur cette exposition maritime qui avait ouvert ses portes le 7 mai 1887 : Sur les rives autour du bassin du Commerce, des stands et des bâtiments avaient été érigés. Une longue galerie, par exemple, courait sur toute la longueur du quai Lamblardie. L’animation et les nuisances occasionnées par le fonctionnement des machines, le manque d’hygiène et les incivilités (eh oui, déjà !) des visiteurs donnèrent lieu à de nombreuses protestations et pétitions des riverains qui durent les subir durant toute la durée de la foire, et même au-delà, puisque les stands mirent beaucoup de temps à être démontés, ce qui entraîna, on l’imagine, bien d’autres désagréments.
Jusqu’à cette nuit de septembre 1944 où elle fut anéantie par les bombardements, la Chambre de commerce, au sein du Palais de la Bourse, joua pleinement son rôle au service des négociants et du commerce havrais. Parmi ses attributions, on notera l’administration de la Bourse (c’est la moindre des choses), mais aussi le service de sauvetage et de signaux, la gestion des équipements du port (les hangars, les engins…) et l’École Supérieure du commerce. La nouvelle Chambre de Commerce, construite pour remplacer l’ancien Palais de la Bourse, a été édifiée plus au nord sur la place du Commerce, rebaptisée aujourd’hui « Jules Ferry », en bordure du bassin éponyme. Son permis de construire, proposé par les architectes Zavaroni, Louvet et Dechenaud, a été déposé en 1953. Inauguré en 1957, le nouveau bâtiment de 4 étages, entièrement en béton et rénové en 2004, abrite de nos jours le Casino du Havre. En effet, en 2005, la Chambre de Commerce a été transférée dans un grand bâtiment aux façades de verre, édifié à l’extrémité est du bassin Vauban.
1) Voir sur ce blog « La Bourse des négociants ».
2) « Le Havre de Grâce et ses navires », catalogue illustré de l’exposition du Port autonome du Havre, 1927.
3) « Histoire des rues du Havre », Charles Vesque, 1876.
4) « Le Havre, un port, des villes neuves », Claire Étienne-Steiner, 2005.